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Témoignage

Dès lors qu’il s’agit de starifier l’automobile, les beaux livres sur le sujet foisonnent. Qu’elle soit luxueuse ou populaire, voire sportive de rêve, elle s’y retrouve polishée sur papier glacé, proprette, figée – y compris lorsqu’elle est en mouvement ! – sur des arrière-plans de catalogue… La plupart de ces bouquins à couverture cartonnée et aux pages lisses se feuillettent plus qu’ils ne se lisent. Et pour cause : les textes qui accompagnent les clichés dépassent rarement la légende complaisante. Incomparablement plus clivante – en bien ! –, substantielle et originale, la démarche éditoriale et photographique de Bernard Geenen tourne le dos aux canons du genre.

Dans «Rouille et Diamants», l’auteur élabore une véritable sociologie des profondeurs appliquée au phénomène de la voiture américaine dans ses décennies les plus fécondes (1935-1975). Ce grand passionné d’automobile y réalise une fresque narrative et illustrative en s’inspirant des 4000 carcasses d’Old Car City en Géorgie, le plus ancien cimetière de voitures des Etats-Unis qui, en pleine nature et au fil du temps, s’est mué en véritable taillis d’art ! Rigoureusement documenté, tout à la fois varié en thèmes et dense en information, le rédactionnel ne manque ni d’anecdotes ni d’humour, dépassant la dimension encyclopédique pour se laisser lire par un public bien plus large que celui qui s’intéresse à la voiture. Cet ouvrage unique touchera les car freaks et les anti-bagnoles, mais aussi les indifférents, tant il fait la part belle au fait de société qui aura le plus durablement façonné nos modes de vie, en bien ou en mal. Ces 224 pages constituent un pan d’histoire vraie et poignante, mais aussi un hommage à la créativité souvent délirante des designers de l’époque. Tant il semble évident que ces has been magnifiques, ces milliers d’épaves magiques s’avèrent plus photogéniques tordues dans leur agonie corrosive, posées sur la friche pour l’éternité, que des collectors restaurés à grands frais. Sans compter qu’elles nous parlent toutes plus que les voitures électriques d’aujourd’hui, enfantées par un génie logiciel dépourvu d’imagination et de fantaisie.

Préface

L’auteur nous livre ici une fresque post mortem, parce que l’auto questionne davantage quand elle rouille que quand elle roule.

 

On pense surtout, mais pas seulement, à la « grosse américaine » qui trusta, durant des décennies d’insouciante opulence, toutes les visions superlatives du modèle populaire, en se révélant plus onirique et – à n’en point douter ! – photogénique sans laque ni vernis, décolorée, posée sur un suaire d’humus, souvent cabossée, parfois même prostrée dans une posture grotesque qui n’enlève rien à sa dignité. L’auteur en a trouvé par milliers au fin fond de la Géorgie, façonnant ainsi le plus important des anciens cimetières automobiles, où l’abandon prolongé a muté ces carcasses en œuvres d’art.

 

Cet ouvrage rend hommage aux 4000 épaves enchantées de ce Lachaise automobile et forestier, se feuillette, se lit et se relit avec émotion, comme une balade à remonter le temps.

Gaétan Philippe, journaliste automobile

Quelques pages à tourner…

C’est alors que parfois, une automobile, qui en a vu des routes et des chemins, décider d’imiter l’arbre qui l’immobilise. Elle ne veut plus rouler, ne veut plus bouger. Elle veut simplement rester plantée là, devenir un arbre. Sentir pousser en elle une force nouvelle, ne plus toucher terre, mais caresser le ciel. Etre là, point de départ de milliers de voyages immobiles et imaginaires.

Il y a de la vie dans ces matières inertes. Peaux ridées, griffées, écaillées, ternies. Ici, le temps est l’artiste. Son ouvrage en perpétuelle transformation est fait d’oxydation, piquetage, perforation, patine, pigmentation, usure et carnation.

Et nous restons ébahis devant ces splendeurs produites sans l’intervention de l’homme.